Découverte: Bessarabie Vins, Puidoux (VD)
Charme slave en Lavaux
Texte: Alexandre Truffer
Formation en Moldavie, immigration au Portugal, reconversion en Suisse: le parcours de Ion Gherciu rime avec migration, désillusion, reconstruction, passion et admiration.
En 2009, Ion Gherciu quitte le Portugal pour travailler comme chauffeur de bus à Lausanne. Ce quadragénaire n’aurait sans doute jamais croisé la route de cette rubrique sans le livre du journaliste Olivier Grivat intitulé «Les vignerons suisses du tsar». Cet ouvrage raconte l’épopée des familles vaudoises parties fonder vers 1820 le premier vignoble russe sur les bords de la mer Noire. Celles-ci s’installent en Bessarabie, dans l’actuelle Moldavie. C’est dans ce pays qu’il termine en 1997 sa formation d’oenologue. Son diplôme en poche, il émigre au Portugal. «Je n’ai jamais travaillé comme oenologue dans ce pays. J’ai été engagé comme employé de cave et ai décidé, en parallèle, de suivre les cours nécessaires à la reconnaissance de mon diplôme», explique Ion Gherciu
tout en faisant les honneurs de ses barriques regroupées dans un entrepôt des Frères Dubois, à Puidoux.
Bien qu’il réussise pour la seconde fois un diplôme en viticulture, Ion ne trouve pas de poste à la hauteur de ses compétences. Il décide de tourner la page, apprend un nouveau métier et est engagé par les transports publics lausannois. Tout en racontant son histoire, ce passionné présente ses cuvées élégantes, mélange surprenant de raisins helvétiques et de techniques atypiques. «Je fais deux barriques de hasselatel, un vin de liqueur issu de raisin vaudois mais vinifi é à la façon du Moscatel portugais. Je produis aussi un rouge vaudois, le Passion des Tsars. L’assemblage se compose de Gamaret et de Pinot Noir vinifi és selon la tradition du vin de messe orthodoxe. Le raisin égrappé est chauff é à cinquante degrés pendant une quinzaine d’heures. Ensuite, il redescend à une température normale pour que se déclenche la fermentation. Cette tradition, bien que reprise par l’Eglise orthodoxe, vient de la région de Cahors, en France. Les vins à base de Malbec, qui étaient chauffés dans de grands chaudrons, calmaient les ulcères de Pierre le Grand. Le tsar a importé et imposé la technique en Russie.»
Ce passionné élève aussi des vins moldaves: la Fleur, le Rouge et le Noir de Bessarabie. Son dernier-né, que l’on devrait pouvoir déguster à Arvinis, se nomme Bessarabius.
C’est un mariage entre raisins de la mer Noire et barrique en chêne des forêts helvétiques. OEnologue à temps partiel, Ion Gherciu produit des vins ambitieux appréciés pour l’heure par un public restreint. «Depuis 2013, l’année où je me suis remis à vinifier, mon activité salariée subventionne mon activité indépendante. Mais je garde espoir, après tout, pour les vignerons vaudois de Bessarabie, l’aventure n’a pas non plus été de tout repos.»
Bessarabie Vins
Ion Gherciu
ZI du Verney 3
1070 Puidoux
Tél. 0041 76 240 19 74
www.cavebessarabie.ch