Président du conseil d’administration de Badoux Vins
Entretien avec Daniel Dufaux
Entré dans la direction générale du Groupe Schenk, Daniel Dufaux lève un coin du voile qui recouvre Aigle Les Murailles, la marque phare de Badoux Vins, désormais dirigé par Pascal Rubin.
A quel point le Covid impacte-t-il une entreprise comme Badoux Vins?
Daniel Dufaux: La pandémie a bien entendu un impact sur nos ventes en hôtellerie et en restauration. Les commerciaux qui s’occupent de ce segment de marché sont au chômage technique depuis plusieurs mois. À l’inverse, la grande distribution est le grand gagnant de la pandémie. Lorsqu’une marque comme l’Aigle Les Murailles est présente au niveau national chez un distributeur comme Coop, ce qui représente, près de 900 points de vente, et que les ventes progressent, les volumes écoulés sont vite assez conséquents. Au final, je pense que l’entreprise ne s’en tire pas trop mal.
Existe-t-il une volonté de faire revivre le Clos des Murailles?
Ce n’est pas impossible! Nous avons réfléchi à l’opportunité, dans un marché post-Covid, de relancer un Clos des Murailles, qui serait la version haut de gamme de l’Aigle Les Murailles. Le Clos, qui a été décadastré par Henri Badoux, est constitué des quelque cinq hectares des vignes les plus en pentes du vignoble. Nous pourrions y produire quelques milliers de bouteilles d’un Chasselas haut de gamme, qui devrait être travaillé de façon spécifique à la vigne et en cave pour assurer un niveau de qualité supérieur au Murailles «classique». On pourrait craindre que ce nouveau produit fasse baisser la valeur de l’Aigle Les Murailles, mais je ne crois pas que cela puisse mettre en péril une position aussi importante.
Quels sont donc les volumes d’Aigle Les Murailles?
Disons que le Chasselas, représente les deux-tiers du volume de la marque. Si on l’additionne aux trois nouveautés, l’Aigle Les Murailles Rouge (lancé en 2013), le Murailles Brut (2016) et l’Aigle Les Murailles Rosé (2018), on dépasse très largement le million de bouteilles.
Ces volumes ont-ils déjà été atteints?
Nos archives ne nous ont pas permis de retrouver de documents attestant de quantités aussi importantes que celles produites aujourd’hui. Toutefois, il est possible que, dans les années folles de la décennie 1970–1980, où les quotas n’existaient pas, nous ayons atteint des volumes similaires, voire supérieurs.
Comment L’Aigle Les Murailles est-il devenu une marque aussi forte?
Henri Badoux a eu l’intelligence, dans des conditions de marché plus faciles qu’aujourd’hui, de miser sur la marque. Prendre la décision de décadastrer un clos pour en faire une marque afin d’augmenter les volumes n’est pas une décision facile, en 1950 comme aujourd’hui. Il a compris que les marques traversent les crises. Selon les anciens qui l’ont connu, il avait une affinité avec la Suisse alémanique. Il a donc pris son bâton de pèlerin et a passé beaucoup de temps à démarcher des revendeurs. Il a aussi eu un peu de chance, notamment avec ces étiquettes au lézard créées en 1918, qui n’ont jamais été démodées en plus d’un siècle. Aigle Les Murailles est aussi un nom idéal pour un vin. Cela rappelle la chaleur, les murs de vigne, le soleil, en bref tout ce que les consommateurs associent à la viticulture. Enfin, le fait de travailler une marque lui a permis de s’assurer des marges qu’il a pu réinvestir dans la promotion. Il faut sans doute aussi mentionner le fait que le nom de la marque n’était pas compliqué à prononcer pour les Suisses allemands, un obstacle qui peut sembler mineur, mais qui peut ruiner tous les efforts déployés pour installer un nouveau produit. Le résultat de ce travail est que lorsque je suis arrivé chez Badoux Vins en 2009, l’entreprise payait 5.50 francs le kilo de Chasselas et qu’en 2020, à mon départ, elle payait toujours exactement le même prix.
Pourquoi avoir lancé des versions rosées, rouges et effervescentes des Murailles?
Le Pinot Noir Monseigneur était l’autre marque forte de Badoux Vins. Quand celle-ci a commencé à baisser, nous avons pensé que le moment était venu d’investir dans un Aigle Les Murailles Rouge. L’effet de marque à joué et les ventes ont tout de suite décollé. Il semblait ensuite logique de créer un brut et un rosé, afin d’offrir une gamme cohérente et complète. Nous avons aussi décidé de mettre ces quatre vins au même prix, soit 22 francs la bouteille, afin de ne pas brouiller le message. Au final, l’important est de renforcer la marque. Si le client boit du «Murailles», peu importe sa
couleur.
Comment réagissent les autres distributeurs face à cette stratégie axée sur la grande distribution?
Certains restaurateurs nous disent en effet qu’ils n’apportent rien à leurs clients en proposant un vin qu’ils peuvent acheter chez Coop ou Denner. Mais c’est une minorité à laquelle nous pouvons proposer d’autres vins.
Pourquoi avez-vous investi récemment dans de grands événements populaires?
En 2019, nous étions le partenaire vin exclusif de la Fête de lutte de Zoug. C’est un investissement énorme qui rapporte peu au niveau financier, mais beaucoup en termes de visibilité, puisqu’en Suisse alémanique, 30000 personnes ont acheté une bouteille de Murailles et l’on bue avec leurs amis.