Science
Peut-on sauver le Muscat du Valais?
Texte: Alexandre Truffer
Bien qu’il fasse partie des plus anciens cépages du Valais, le Muscat compte parmi les perdants du réencépagement. Une étude de Changins s’est penchée sur les causes de ce désamour et les possibilités d’y remédier.
Originaire du Proche-Orient, cultivé depuis la plus haute Antiquité dans la région Méditerranéenne, le Muscat se décline en plus de 200 variétés. Patriarche de cette famille élargie, le Muscat Blanc à petits grains, sans doute d’origine grecque, a engendré une nombreuse descendance dont les plus célèbres membres sont le Muscat d’Alexandrie ou le Muscat de Hambourg. Comme tous les anciens cépages, il a pris des patronymes différents en s’établissant dans de nouvelles régions viticoles. On l’appelle Muscat de Frontignan en Languedoc, Muscat de Lunel en Provence et Muscat Blanc du Valais au cœur des Alpes suisses. Dans le Vieux-Pays, cette variété est mentionnée en 1536 déjà. Huit ans plus tard, l’humaniste allemand Sebastien Münster parle du Musskateller valaisan dans sa «Cosmographia Universalis». Capable d’engendrer des vins de qualité, le Muscat se plaît beaucoup dans les parcelles arides du centre du canton. Peu replanté après la crise phylloxérique, il couvre aujourd’hui à peine 35 hectares et donne naissance à des vins boudés par la clientèle. En 2008, une première étude de l’Agroscope de Changins a démontré que le nom de Muscat était donné, en Valais, à deux cépages distincts: le Muscat Blanc à petits grains, notre variété antique née il y a trois millénaires, et le Moscato Giallo. Ce dernier, souvent appelé «Muscat du Pays», est une variété tardive que l’on retrouve au nord (Trentin, Padoue et Haut-Adige) et au sud (Sicile) de l’Italie.
Giallo et Blanc à petits grains sont souvent complantés sur la même parcelle. Toutefois, les différences de maturité compliquent la gestion de ces parcelles multiculturelles. «La présence de raisins de maturité insuffisante peut altérer substantiellement la finesse aromatique en conférant au vin des arômes de type végétal (manque de finesse, verdeur), perte de typicité et de complexité des arômes muscatés. D’une parcelle ou d’un millésime à l’autre, la qualité des vins peut être ainsi très irrégulière, ce qui pourrait être en partie à l’origine de la désaffection de ces produits par les consommateurs», déclarent les auteurs d’un article de 2016 intitulé «Distinction et valorisation du Muscat en Valais». Ce papier synthétise les résultats d’une étude menée par la Haute Ecole de viticulture et d’œnologie de Changins dans une parcelle expérimentale de la Cave des Oasis à Flanthey, village situé sur le coteau entre Sion et Sierre. Deux clones du Muscat Blanc et un clone de Moscato Giallo ont été plantés sur différents porte-greffes et taillés selon des systèmes de culture différents (cordon permanent mi-haut et culture en lyre). Les observations à la vigne durant les millésimes 2011 et 2012 ont montré que les systèmes de culture et les porte-greffes n’ont pas joué de rôle essentiel. Par contre, l’étude a confirmé que chaque Muscat possède un cycle végétatif particulier et que, le Moscato Giallo devrait être récolté entre dix et quinze jours après les plants de Muscat Blanc à petits grains. Les auteurs recommandent de cesser la complantation dans les nouvelles parcelles et de travailler les vieilles vignes de manière différenciée afin d’augmenter la qualité.
Axel Jaquerod Conseiller viticole à Prometerre
«L’objectif de cette étude consistait à voir quelles étaient les caractéristiques agronomiques des deux cépages qui cohabitent sous l’appellation Muscat en Valais. Un deuxième volet, qui doit être actuellement en cours, avait pour but d’analyser le profil aromatique des vins produits et leur évolution dans le temps. Philippe Dupraz a initié cette recherche dont je ne suis qu’un maillon intermédiaire, mais il est clair que le Muscat apprécie les caractéristiques du vignoble du Valais. Comme il était en perte de vitesse, il fallait affiner nos connaissances pour que les vignerons puissent le planter dans les meilleures conditions possibles. Nos essais se sont faits sur une grande parcelle expérimentale à Flanthey. Malgré la proximité de nom entre Muscat Blanc et Moscato Giallo et leur lien de descendance, il faut comprendre qu’il s’agit ici de deux variétés complètement différentes, comme le Gamay et le Pinot Noir, par exemple. Ce qui nous a amenés à conseiller de ne plus planter ce couple sur les mêmes parcelles, à cause du caractère beaucoup plus tardif du Moscato Giallo qui nécessite un terroir plus ensoleillé et plus chaud. On pense parfois ce Moscato moins noble que le Muscat Blanc à petits grains, mais ce n’est pas vrai. Planté au bon endroit et travaillé correctement, il donne d’excellents résultats.»
Frédéric Rouvinez Directeur des Domaines Rouvinez
«Lorsqu’il était abondamment planté, le Muscat a été pénalisé par la variabilité, sur le plan qualitatif, des vins qu’il engendrait. Très souvent, il se distinguait par un manque de cohérence entre le nez, intense et très aromatique, et la bouche, beaucoup plus faible. Cette divergence, sans doute due à la complantation de deux cépages à la maturité différente sur les mêmes parcelles, a amené beaucoup de vignerons à remplacer cette variété aromatique par des spécialités traditionnelles comme la Petite Arvine ou le Païen. En ce qui concerne les Domaines Rouvinez, nous avons supprimé au fil des années nos vignes de Muscat qui donnaient des résultats mitigés pour ne conserver qu’un unique domaine, qui offrait les résultats les plus intéressants. Celui-ci est situé à Ollon, dans des terres sèches et ensoleillées. Nous n’avons pas d’informations très précises sur le matériel végétal du domaine d’Ollon, mais on peut estimer que 70% des plants sont du Muscat Blanc à petits grains. Il faut comprendre que la répartition entre cette variété majoritaire et les 30% de Giallo est complètement anarchique, ce qui rend un suivi différencié des deux cépages quasiment impossible. De plus, la présence de ce Muscat plus tardif n’est pas que négative, car elle apporte de l’acidité à notre Muscat d’Ollon.»
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