Loire
En route pour Nantes
Texte: Barbara Schroeder, photos: Rolf Bichsel
Sixième agglomération française, Nantes gagne à être connue. Cette ville culturelle moderne aux portes de l’océan, véritable fenêtre française sur l’Atlantique, est entourée par les eaux. C’est ici, sur les coteaux délicatement escarpés qui bordent la Loire, que naît le délicieux Muscadet.
Pour mon escapade dans la région de Nantes, je réalise un vieux rêve, celui de séjouner dans un monastère. A mon arrivée, le repas est déjà prêt. J’ai toujours faim, même lorsque je me coupe du monde extérieur, ne serait-ce que le temps d’une nuit. En lieu et place de carpes dodues pêchées dans l’étang du monastère, m’ont été servies des crevettes sur un lit moelleux de mâche, une spécialité de la région, comme me l’a expliqué un jeune homme rayonnant, qui n’était ni moine, ni novice, mais un sommelier musclé en chaussures vernies, veste noire et chemise blanche. J’ai abrégé sa présentation de la carte des vins déclamée avec verve d’une remarque aussi inconsidérée que désinvolte: «Merci, amenez-moi une bouteille de Muscadet ». Il m’a répondu un cinglant «Bien, Madame» et j’ignore aujourd’hui encore ce qui m’a valu une telle froideur. Est-ce parce que je n’ai pas daigné regarder la carte des vins? Parce que j’ai commandé un simple Muscadet et non un cru plus prestigieux comme un Vouvray, un Sancerre ou un Savennières? Ou serait-ce parce que j’ai lancé Muscadet, comme on dirait Perrier ou San Pellegrino au lieu de demander «un Muscadet sur lie de Sèvre et Maine du Cru Clisson»? Je me suis rendu compte pour la première fois, et pas pour la dernière, au cours de mon excursion dans le Pays Nantais, que Muscadet est un mot délicat qu’il vaut mieux ne pas prononcer à la légère.
J’ai continué mon repas composé d’un canard nantais (un classique de la gastronomie régionale qui en sus du volatile nécessite du lard, des oignons, des petits pois, des carottes, du beurre et du vin blanc – de la région bien entendu – pour mouiller le tout) suivi d’une crème caramel et ai vidé ma bouteille de Muscadet AOC Côtes de Grandlieu sur lie 2012 avant de m’endormir comme une souche. Je me suis réveillée sous les caresses des premiers rayons de soleil et le chant des oiseaux du parc. Je me sentais affamée et prête à toutes les folies. Le mystérieux monastère n’en était plus un depuis longtemps. Il a été transformé en un élégant hôtel, baptisé l’«Abbaye de Villeneuve», et fait la fierté de la commune des Sorinières (www.abbayedevilleneuve.com). On m’a expliqué au petit déjeuner que l’établissement était très apprécié par les couples d’amoureux en week-end romantique. Il était aussi une base pour des voyageurs du monde entier venus découvrir Nantes, une ville qui donne tant à voir et à vivre. Mon interlocuteur me déclamait une liste à la Prévert des qualités de la région: «la ville en soi, pleine de vie et de culture, les fleuves et les lacs, la réserve naturelle du lac de Grand-Lieu, Clisson, la petite Venise en bord de Sèvre, la paisible Sèvre nantaise, le Maine, la Loire, ce fleuve fi er avec ses îles et ses berges qui se jette dans l’Atlantique et le légendaire chantier naval de Saint-Nazaire...» «...Et le Muscadet!», ajoutais-je. Ma remarque fut accueillie par un silence gêné. «Oui, oui, le Muscadet» répondit-il avec hésitation. «Evidemment, il y a aussi le Muscadet.»
En préambule, je me dois de préciser un point que j’ai oublié de mentionner. J’aime à la folie le Muscadet ainsi que son petit frère, le Gros-Plant. Je le répète: «J’aime le Muscadet à la folie». Peu importe qu’il soit ou non élevé sur lie, qu’il soit ou non pourvu d’une appellation d’origine contrôlée spécifique ou de cru, et ce même dans un ancien monastère accueillant des couples d’amoureux de tous âges. Pour moi, depuis vingt ans, le Muscadet est au vin blanc ce que le Beaujolais est au vin rouge. Je le consomme en toute occasion, c’est-à-dire quand vin ne rime pas avec travail, mais avec plaisir. Le Muscadet est l’archétype du vin blanc sapide. Ce vin me rappelle un pain fraîchement sorti du four tartiné de beurre: une gourmandise toujours bienvenue. Un plaisir qu’on aurait tort de s’interdire. C’est la partie émergée de l’iceberg nantais, l’œil du cyclone de la région. Mais j’ai été étonnée de constater que cet avis n’est pas partagé par la majorité de ses habitants.
Pour mon escapade dans la région de Nantes, je réalise un vieux rêve, celui de séjouner dans un monastère. A mon arrivée, le repas est déjà prêt. J’ai toujours faim, même lorsque je me coupe du monde extérieur, ne serait-ce que le temps d’une nuit. En lieu et place de carpes dodues pêchées dans l’étang du monastère, m’ont été servies des crevettes sur un lit moelleux de mâche, une spécialité de la région, comme me l’a expliqué un jeune homme rayonnant, qui n’était ni moine, ni novice, mais un sommelier musclé en chaussures vernies, veste noire et chemise blanche. J’ai abrégé sa présentation de la carte des vins déclamée avec verve d’une remarque aussi inconsidérée que désinvolte: «Merci, amenez-moi une bouteille de Muscadet ». Il m’a répondu un cinglant «Bien, Madame» et j’ignore aujourd’hui encore ce qui m’a valu une telle froideur. Est-ce parce que je n’ai pas daigné regarder la carte des vins? Parce que j’ai commandé un simple Muscadet et non un cru plus prestigieux comme un Vouvray, un Sancerre ou un Savennières? Ou serait-ce parce que j’ai lancé Muscadet, comme on dirait Perrier ou San Pellegrino au lieu de demander «un Muscadet sur lie de Sèvre et Maine du Cru Clisson»? Je me suis rendu compte pour la première fois, et pas pour la dernière, au cours de mon excursion dans le Pays Nantais, que Muscadet est un mot délicat qu’il vaut mieux ne pas prononcer à la légère. J’ai continué mon repas composé d’un canard nantais (un classique de la gastronomie régionale qui en sus du volatile nécessite du lard, des oignons, des petits pois, des carottes, du beurre et du vin blanc – de la région bien entendu – pour mouiller le tout) suivi d’une crème caramel et ai vidé ma bouteille de Muscadet AOC Côtes de Grandlieu sur lie 2012 avant de m’endormir comme une souche. Je me suis réveillée sous les caresses des premiers rayons de soleil et le chant des oiseaux du parc. Je me sentais affamée et prête à toutes les folies. Le mystérieux monastère n’en était plus un depuis longtemps. Il a été transformé en un élégant hôtel, baptisé l’«Abbaye de Villeneuve», et fait la fierté de la commune des Sorinières (www.abbayedevilleneuve.com). On m’a expliqué au petit déjeuner que l’établissement était très apprécié par les couples d’amoureux en week-end romantique. Il était aussi une base pour des voyageurs du monde entier venus découvrir Nantes, une ville qui donne tant à voir et à vivre. Mon interlocuteur me déclamait une liste à la Prévert des qualités de la région: «la ville en soi, pleine de vie et de culture, les fleuves et les lacs, la réserve naturelle du lac de Grand-Lieu, Clisson, la petite Venise en bord de Sèvre, la paisible Sèvre nantaise, le Maine, la Loire, ce fleuve fi er avec ses îles et ses berges qui se jette dans l’Atlantique et le légendaire chantier naval de Saint-Nazaire...» «...Et le Muscadet!», ajoutais-je. Ma remarque fut accueillie par un silence gêné. «Oui, oui, le Muscadet» répondit-il avec hésitation. «Evidemment, il y a aussi le Muscadet.» En préambule, je me dois de préciser un point que j’ai oublié de mentionner. J’aime à la folie le Muscadet ainsi que son petit frère, le Gros-Plant. Je le répète: «J’aime le Muscadet à la folie». Peu importe qu’il soit ou non élevé sur lie, qu’il soit ou non pourvu d’une appellation d’origine contrôlée spécifique ou de cru, et ce même dans un ancien monastère accueillant des couples d’amoureux de tous âges. Pour moi, depuis vingt ans, le Muscadet est au vin blanc ce que le Beaujolais est au vin rouge. Je le consomme en toute occasion, c’est-à-dire quand vin ne rime pas avec travail, mais avec plaisir. Le Muscadet est l’archétype du vin blanc sapide. Ce vin me rappelle un pain fraîchement sorti du four tartiné de beurre: une gourmandise toujours bienvenue. Un plaisir qu’on aurait tort de s’interdire. C’est la partie émergée de l’iceberg nantais, l’œil du cyclone de la région. Mais j’ai été étonnée de constater que cet avis n’est pas partagé par la majorité de ses habitants.
Du gris au bleu
Je me suis déjà rendue à plusieurs reprises à Nantes: pour passer un weekend prolongé en ville, pour me ressourcer sur les sentiers déserts qui longent les lacs et cours d’eau bleu-vert, pour visiter des musées, des expositions ou des sites culturels. Et à chaque fois, s’est emparé de moi le sentiment que j’avais étant enfant lorsque mes parents m’emmenaient sous le soleil français loin de la grisaille germanique. Dans ce pays généreux, où le café avait une toute autre odeur que celui de la maison, où l’on trouvait du sirop de fraise, de la baguette fraîche et du beurre au petit déjeuner, où les gens étaient accueillants et me prenaient dans leurs bras. Je n’ai jamais eu ce sentiment à Bordeaux, où je vis depuis plus de trente ans (on me prendrait au mieux pour une cruche), contrairement à Anjou, à Tours, à Saumur, à Chinon ou même ici à Nantes. Voici la France idéale, la France de mon enfance: douce, pastelle, bleue et verte, avec ses prairies, ses champs, ses cours d’eau, ses lacs, avec ses troquets de village et ses innombrables boulangeries, où l’on pouvait acheter des pains aux raisins et au chocolat. Le monastère transformé en hôtel, que j’ai quitté avec beaucoup de regret, était situé à deux pas du lac de Grand-Lieu et de la région du Muscadet. Façon de parler, car cela ne m’a pas empêchée de me perdre dans les ruelles proprettes dessinées au cordeau des innombrables lotissements sortis de terre ces vingt dernières années. Une fois cet obstacle franchi, on se retrouve seule, comme perdue au bout du monde. Il est presque impossible d’embrasser du regard l’intégralité de ce lac mystérieux, car on ignore la position exacte de ses berges. Le Lac de Grand-Lieu est un lac en perpétuel mouvement, mesurant un jour 35 kilomètres carrés, un autre presque le double. On le devine parfois à peine, caché derrière les roseaux, les hautes herbes et les épaisses haies.
Atmosphère, atmosphère... Portail d’accès à l’Abbaye de Villeneuve près de Sorinières.
Les vastes vignobles plats de cette petite région plantés entre forêts et bocages, à l’instar de ceux du Médoc ne sont pas vraiment jolis malgré leurs ceps noueux qui, telles des sculptures nées de l’imagination d’artistes tourmentés, s’élèvent du sol avec élégance. Les parcelles les plus impressionnantes de Muscadet ne se rencontrent pas ici, mais dans l’appellation des Coteaux de Loire près d’Ancenis, où la vigne pousse sur les coteaux ensoleillés au bord du fleuve. Les exploitations viticoles autour de Nantes constituent – à l’exception entre autres du Château du Cléray – d’imposantes propriétés. Près d’Ancenis se dressent les premiers châteaux de la Loire. A l’image du Château Clermont, qui abrite aujourd’hui le musée du comique Louis de Funès. Celui-ci y a vécu de 1967 jusqu’à sa mort, en 1983. Non loin de là, à Mauves est construit l’un des rares ponts qui permette de traverser la Loire, le grand fleuve qui se hâte lentement de rejoindre l’Atlantique. Cette passerelle métallique, telle un scolopendre plongeant ses pattes dans le lit du cours d’eau, est un passage obligé pour tout visiteur parti à la découverte des vignes qui ne souhaite pas faire de détour par Thouaré ou Bellevue ni s’aventurer dans les méandres de l’agglomération tentaculaire de Nantes et ses inombrables ronds-points.
Entre Toscane et Haevy Metal
Personne ne visite la région sans faire un arrêt à Clisson, la petite Venise de la Sèvre nantaise, à 25 kilomètres environ de Nantes. Le village pittoresque doté d’un imposant château-fort parfaitement conservé, qui ravit petits et grands, possède depuis peu sa propre appellation communale et est à Nantes, ce que le Saint-Émilion est à Bordeaux. Mais en réalité, l’ambiance générale ressemble davantage à celle de Montepulciano. Cette similarité n’a rien de fortuit: Clisson fut détruite lors des troubles occasionnés par la Révolution française à la fin du 18e siècle. Deux frères, Pierre et François Cacault, qui avaient vécu un temps en Italie, décidèrent alors de reconstruire la ville sur le modèle toscan. Rien d’étonnant donc à ce que Clisson accueille chaque année un important festival de danse, de musique, de théâtre et de photographie d’influence italienne baptisé «Les Italiennes de Clisson». Une autre manifestation, le Hellfest, l’un des plus grands événements d’Europe consacré au Heavy Metal, témoigne aussi de son ouverture sur le monde. Des groupes comme Black Sabbath, Deep Purple, Iron Maiden, Guns N’ Roses ou Motörhead s’y sont déjà produits.
L’Île Mystérieuse
Nantes affiche avec fierté son statut de ville culturelle avec ses labels officiels de «Ville d’art et d’histoire» et de «Capitale verte de l’Europe», obtenus en 2013. La ville possède tant de curiosités historiques ou architecturales et d’activités culturelles, qu’il s’avère impossible de toutes les énumérer. Par bonheur, un excellent guide d’une centaine de pages proposé en plusieurs langues par l’office de tourisme permet au touriste de passage de faire son choix dans l’offre pléthorique de la région. L’idéal est de séjourner dans un hôtel du centre-ville et de découvrir la cité à pied. Parmi les lieux incontournables figurent le superbe musée des Ducs de Bretagne, le Jardin des Plantes et les Machines de l’île. Très apprécié des petits comme des grands, cet endroit étonnant abrite d’immenses machines rappelant le passé industriel de Nantes. Le majestueux éléphant plus grand que nature, le serpent de mer en acier ou la fourmi géante, pouvant accueillir quatre passagers, suscitent toujours l’admiration des visiteurs. Ces machines, qui semblent sortir tout droit de l’imagination de Jules Verne ou de Léonard de Vinci, sont l’œuvre de deux mécaniciens de génie qui ont gagné leurs galons en art de rue et en théâtre alternatif: Pierre Orefice (directeur depuis de nombreuses années de la troupe de théâtre loufoque Royal de Luxe) et François Delarozière. Le parcours culturel qui borde l’embouchure de la Loire (musée en plein air «Estuaire Nantes-Saint-Nazaire» regroupant 29 œuvres de célèbres artistes contemporains) vaut aussi le détour. Sans oublier évidemment de s’arrêter dans l’un des nombreux bistrots pour y savourer un verre rafraîchissant de Muscadet ou de Gros-Plant.