Vin de Constance

Le phénix du sud

Texte et photos: Alexandre Truffer

Plus ou moins tombé dans l’oubli, le plus célèbres des vins de l’hémisphère sud renaît peu à peu de ses cendres. Non loin du Cap, deux domaines de Constantia misent à nouveau sur le liquoreux qui a fait la réputation de ce vignoble créé en 1685.

Apprécié par Beaudelaire, Frédéric de Prusse, Louis XVI et surtout par Napoléon qui en consommait quotidiennement durant son exil sur l’île de Sainte-Hélène, le Vin de Constance a longtemps été le seul grand vin de l’hémisphère sud. Durant tout le 19e siècle, son étoile voisine avec celle d’Yquem ou des meilleurs Tokaj avant de se mettre à pâlir pour finir par quasiment s’éteindre à la fin du deuxième millénaire. Les férus d’étymologie qui chercheraient à savoir qui était cette Constance qui a fait tourner les têtes des artistocraties française et anglaise pendant plus d’un siècle auront à choisir entre diverses versions. Fondé par le gouverneur Simon van der Stel (qui donnera son nom à Stellenbosch), le domaine Constantia a, pour certains, été baptisé du nom de sa femme, pour d’autres du nom de son bateau, de la fille d’un de ses protecteurs ou de cette vertu que le gouverneur estimait. Tous rapportent que le gouverneur a choisi le lieu en analysant des échantillons de sols que ses coursiers lui ramenaient des quatre coins de la province du Cap. Le fait est qu’en 1685, il s’octroie une propriété de quelque 750 hectares au pied de la Table Mountain, dans une sorte d’amphithéâtre naturel tempéré par les brises océaniques. Après sa mort, le domaine sera divisé en trois entités: Groot Constantia, Klein Constantia et Bergvliet, dédié à l’élevage plutôt qu’à la viticulture. 

La grande tradition de Groot Constantia

Au début du 18e siècle, Groot et Klein Constantia se mettent à produire un vin doux – la question de savoir s’il s’agit d’un vin doux naturel ou d’un vin muté reste ouverte – qui va rapidement s’installer sur les tables royales d’Allemagne, de France et de Grande-Bretagne. Les cépages utilisés alors sont le Muscat Blanc à Petits Grains, le Muscat Rouge, le Pontac (ou teinturier du Cher) et le Chenin Blanc.

«Nous ne parlons pas d’influence maritime, mais de l’influence des deux océans.»

Selon Hans Astrom, le directeur et copropriétaire de Klein Constantia, l’exportation du Constantia wyn a été favorisée pour des raisons très prosaïques. «Le vin faisait partie de l’impôt que les colonies devaient payer à l’état central, hollandais puis anglais. Pendant les guerres napoléonniennes, la Grande-Bretagne n’a plus accès aux vins européens puisque l’Italie et l’Espagne sont sous domination française, elle se tourne donc vers l’un des rares vignobles disposé à exporter: celui de la colonie du Cap. En 1860, le traité Cobden-Chevalier, qui instaure les premiers accords de libre-échange entre la France et l’Angleterre, bouleverse le paysage économique. Le Bordeaux coule à flots en Grande-Bretagne et les vignobles du Cap s’effondrent. C’est la fin des Constantia Wines qui seront achevés par l’arrivée des maladies cryptogamiques.»

Monument national depuis 1927, Groot Constantia reflète assez bien l’histoire tourmentée de ce qui est aujourd’hui la république sud-africaine. Si la qualité des «Grand Constance» doit beaucoup au travail des centaines d’esclaves qui se sont succédés au domaine depuis sa création entre 1685 et 1827, le domaine est aussi l’un des rares à être la propriété d’une affranchie. En effet, à la mort de Simon van der Stel en 1712, Constantia est divisé en trois. «Groot», la partie principale, est alors acquise par Olof Bergh, un Suédois qui résidera successivement à la Haute Cour de Justice et dans les geôles de Robben Island (où sera incarcéré plus tard Nelson Mandela). Il est marié avec Anna de Koningh une esclave affranchie, née en Indonésie. A la mort de son mari, elle devient propriétaire de la plus riche ferme de la colonie. Cette femme, seule esclave connue à avoir fait l’objet d’un portrait authentifié, décèdera en 1734. Agée de près de 80 ans, elle était, à ce moment, pro-priétaire de 27 esclaves et mère de douze enfants dont de très nombreux descendants peuplent encore aujourd’hui la bonne société du Cap. Symbole de la complexité de la nation arc-en-ciel, Groot Constantia se considère à la fois comme l’un des précurseurs de l’œnotourisme de l’hémisphère sud (plus de 400 000 touristes visitent le domaine chaque année) et comme l’un des gardiens du mythique «Constantia wyn». «Tous les vins de Constance qui ont marqué l’histoire – ceux consommés par Napoléon, Louis-Philippe ou Jane Austen – sont nés dans le vignoble de Groot Constantia, explique Boela Gerber, l’œnologue du domaine. Autrefois, le domaine produisait du rouge, sans doute à base de Syrah qui reste encore aujourd’hui la variété la plus plantée, et du blanc élaboré avec du Chenin Blanc, du Pontac – que nous ne cultivons plus – et deux Muscat, le Blanc petits grains, et le rouge, une mutation naturelle du précédent. Ce sont ces deux cépages que nous utilisons à l’heure actuelle pour notre Grand Constance.»

Le défi de Klein Constantia

«Le secret du Vin de Constance se niche dans la situation géographique exceptionnelle de cette péninsule», explique Hans Alstrom. «Les dernières gouttes de l’Océan Indien arrivent quasiment dans cette baie et à quelques kilomètres à vol d’oiseau, de l’autre côté de la montagne, c’est l’Océan Atlantique. Nous ne parlons pas d’influence maritime, mais de l’influence des deux océans. Cette proximité crée un afflux quasi constant de vents qui permettent la production d’un passerillé porté par une intense acidité», poursuit ce Suédois qui fait partie des cinq associés – avec le financier d’origine tchèque installé en Suisse Zdenek Bakala, le Britannique Charles Harman, ainsi que les propriétaires bordelais Hubert de Boüard de Laforest et Bruno Prats – qui ont racheté Klein Constantia en 2011. Parmi les atouts de ce domaine de près de 146 hectares (dont 90 hectares de vignes) à la périphérie de Cape Town, les très fortes amplitudes thermiques qui, durant la période des vendanges, peuvent dépasser les quinze degrés, ainsi que l’importante main-d’œuvre travaillant sur l’exploitation. «En tant qu’entreprise nous avons pour mission de faire travailler le plus de gens possible, ce qui implique que s’il faut attendre une, deux ou trois semaines pour récolter les baies à maturité, ce n’est pas un problème. A contrario des vignobles européens, nous ne devons pas gérer des équipes de vendangeurs qui viennent pour une période précise et sont ensuite attendus dans une autre région. Etant donné que nous ne travaillons qu’avec des employés à l’année, nous pouvons multiplier les tries pour la récolte de nos 16 hectares de Muscat», confie Hans Alstrom. De fait, certaines vendanges de ce vin passerillé qui ne subit presque aucune attaque de botrytis cinerea (la pourriture noble tant recherchée à Tokaj, Sauternes ou dans les Grains Nobles du Valais) ont duré plus de deux mois. Les ouvriers armés d’une petite boîte isotherme sortent à 4h du matin pour récolter sous la lumière des projecteurs les baies à maturité parfaite. Exclusivement issu des vignes de Muscat Blanc plantées dans les années 1980, le Vin de Constance de Klein Constantia pourrait évoluer dans les années à venir, car le domaine a planté du Furmint (cépage hongrois consubstantiel au Tokaj) et du Petit Manseng (variété pyrénéenne que l’on retrouve dans le Jurançon et le Pacherenc-du-vic-bilh) afin d’apporter un surcroît d’acidité à ce vin doux naturel qui connaît un développement que rien ne semble pouvoir arrêter. «Pas même les babouins, la terreur des vignobles sud-africains, rigole Hans Alstrom. Quatre de mes employés se relaient 7 jours sur 7 pour chasser ces primates de nos vignobles. Comme ils sont protégés, nous utilisons des fusils de paint-ball pour les maintenir à distance de nos parcelles.»

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