Gialdi Vini, Chiodi Ascona, Angelo Delea – Sopraceneri, Tessin
Trinité tessinoise
Texte: Benjamin Herzog
Le Tessin est pour beaucoup synonyme de «Merlot del Ticino», une idée qui a la peau dure. Mais ce serait faire injure aux vignerons que de réduire tout leur travail à cet unique cépage. Des producteurs comme Gialdi Vini, Chiodi Ascona et Angelo Delea entretiennent la diversité viticole au sud du Gothard.
Le canton du Tessin se divise, grosso modo, en deux parties: le Sopraceneri au nord du mont Ceneri et le Sottoceneri au sud. Le nord se distingue par le regroupement de très grands vignobles, tandis que l’autre versant du Ceneri forme un patchwork de petites parcelles. Nous sommes assis à une table de la «Fattoria L’Amorosa», un centre œnotouristique nanti d’un restaurant non loin de Bellinzone. L’établissement appartient à Angelo Delea, l’un des entrepreneurs viticoles les plus dynamiques du Tessin. La «Fattoria L‘Amorosa» se trouve – comme souvent dans le Sopraceneri – au beau milieu d’un vignoble de quatre hectares. Le menu du jour propose de la terrine de lapin en entrée. Nous pourrions naturellement l’accompagner d’un Merlot, après tout ce cépage représente 80% de la production locale, mais nous jetons aujourd’hui notre dévolu sur le Sottosopra, un vin effervescent élevé à partir de Pinot Noir. Outre du Merlot, les vignes autour de la «Fattoria L’Amorosa» abritent du Cabernet Franc, du Cabernet Sauvignon et un peu plus loin du Chardonnay, du Sauvignon Blanc, du Pinot Noir, ainsi que le cépage autochtone Bondola ou encore des ceps d’«Uva Americana » en voie de raréfaction.
Nous sommes à quelques jours des vendanges et les vignerons sont plutôt tendus. La faute, comme souvent, à de fortes précipitations et au risque de maladies qui y est lié, mais aussi à la drosophile Suzukii dont le nombre a explosé pour la première fois en 2014. L’œnologue Fredy de Martin élabore les vins de Gialdi et de Guido Brivio. Les premiers viennent du Sopraceneri, tandis que les vins de Brivio sont issus du Sottoceneri. Fredy de Martin est relativement détendu: il doit juste s’assurer que ses vignerons ne perdent pas leur sang-froid et ne récoltent pas le raisin trop tôt. Le propriétaire du domaine, Feliciano Gialdi, ne possède en effet aucun vignoble, il achète ses raisins à près de 300 vignerons. La tradition dans le Tessin veut que chaque famille ou presque possède une petite parcelle, sans pour autant élever ses propres vins. Aux yeux de l’œnologue, si cette particularité complique les vendanges, elle lui permet aussi de piocher parmi des raisins issus des terroirs les plus variés. Les sols tessinois sont très diversifiés. Le granit des Alpes est omniprésent dans le Sopraceneri. Beaucoup de sable, peu de calcaire et des terrains assez acides, légers et perméables. Au sud en revanche, les sols, très calcaires, contiennt une quantité importante d’argile.
Extra brut tessinois
Fredy de Martin et Feliciano Gialdi ont testé en 2006 l’une des nombreuses possibilités offertes par les parchets du nord du Tessin. Cette année-là, ils se sont lancés dans la production d’un vin effervescent. Le premier millésime de Sottosopra, élevé exclusivement à partir du Pinot Noir issu du Sopraceneri, a ainsi vu le jour. Ce vin effervescent est élaboré sans ajout de ce qu’on appelle la «liqueur d’expédition» pour donner un véritable «extra brut» ou «dosage zéro» issu du nord du Tessin. Dès son lancement, ce vin a fait l’effet d’une véritable bombe et a été désigné comme l’un des meilleurs vins effervescents de Suisse par VINUM en 2010.
Gialdi produit à peine 3000 bouteilles de Sottosopra, un petit plaisir personnel. «Avec une si petite quantité, je cherche avant tout à produire un vin qui me plaise et non qui séduise une certaine clientèle», explique l’œnologue Fredy de Martin, le sourire aux lèvres, tout en sachant que les amateurs de vins effervescents secs sont de plus en plus nombreux. L’ajout de liqueur d’expédition est, selon lui, une tâche périlleuse, qui requiert beaucoup d’expérience. Fredy de Martin et Feliciano Gialdi ont remarqué il y a déjà plusieurs années qu’il ne servait à rien de multiplier les interventions et agissent donc en conséquence.
Merlot 2.0
Andrea Arnaboldi du domaine Chiodi fournit à première vue une clientèle traditionnelle. L’entreprise réalise 50% de son chiffre d’affaires avec la vente de vins étrangers, où elle fait la part belle aux grands crus bordelais; et l’autre moitié en tant que producteur-récoltant, une activité amenée à se développer à l’avenir. Les raisins destinés aux vins du domaine Chiodi proviennent tous de la région de Pedemonte, une sous-région du Sopraceneri, située au nord du lac Majeur le long de la rivière Melezza. Le microclimat dont elle jouit avec ses vents constants et ses sols très acides et perméables convient parfaitement à la production de grands Merlot tessinois. Grâce à ces conditions, les raisins atteignent un bel équilibre entre acidité et structure au moment des vendanges. Ultima Goccia – une grande sélection de Merlot du domaine – signifie littéralement Dernière goutte, un nom qui traduit l’objectif avoué de créer un cru que l’on prend plaisir à déguster jusqu’à la dernière goutte.
Rares sont les vins tessinois à présenter équilibre entre légèreté et complexité similaire à celui de l’Ultima Goccia. Si le terroir du Sopraceneri joue pour beaucoup, la vinification et l’élevage d’Andrea Arnaboldi n’y sont pas non plus étrangers. L’homme mise sur une longue macération et élève une partie du vin dans des foudres de 500 litres au lieu de n’utiliser que de petites barriques. La «Fattoria l‘Amorosa» possède une carte des vins interminable. C’est au propriétaire Angelo Delea qu’on le doit. Il fait partie de ces producteurs qui bouillonnent d’idées. Ses fils David et Cesare travaillent aujourd’hui avec lui et essaient tant bien que mal de contenir leur père. Bien qu’Angelo Delea offre une large gamme de vins, son cœur bat pour le Merlot depuis le début de sa carrière. Il a ainsi créé le Carato, un véritable monument tessinois, qui dévoile le potentiel qualitatif que renferme le nord du Tessin, mais aussi le potentiel de garde dont ces vins sont dotés. Angelo Delea ne se cantonne plus depuis longtemps à la production de vin: la société fait aussi le commerce de crus nationaux et étrangers, possède une distillerie, une Acetaia destinée à la production de vinaigre balsamique et – accessoirement – des restaurants prospères. Outre le centre œotouristique L’Amorosa, le dynamique entrepreneur possède la Bottega del Vino à Locarno.
Les trois vins présentés ici sont l’illustration parfaite de toute la diversité que recèle le versant sud du mont Gotthard. De l’extra brut au Merlot charpenté, tout y est.
LES VINS DE L’OFFRE
Gialdi Vini SA Sottosopra 2012
Complexe, arômes de baies rouges et noires, fines herbes et fleurs de jasmin. Souple en attaque avec une bulle fine et persistante. Alors qu’on s’attend ensuite à des notes sucrées, il surprend par son acidité juteuse, ce qui fait de ce vin un compagnon de table parfait.
Cépage
100% Pinot Noir
Apogée
2014 à 2019
Mariage
Poisson, volaille, veau
Chiodi Ascona SA Ultima Goccia 2012
Vin rouge moderne à l’expression aromatique claire de fruits rouges parfaitement mûrs et d’épices. Accessible, il n’en est pas moins complexe. Vin souple et harmonieux en bouche, aux tanins mûrs, porté par une élégante acidité. Gouleyant, belle longueur aromatique.
Cépage
Merlot
Apogée
2014 à 2018
Mariage
Plats à base de viande, risotto
Vini & Distillati Angelo Delea SA Carato Riserva 2011
Aromatique enivrante de cassis, de mûre et de tabac aux notes végétales, comme l’eucalyptus. Ample et puissant en bouche, son acidité fraîche lui confère néanmoins élégance et légèreté. Très équilibré avec une longue finale. Un coureur de fond.
Cépage
Merlot
Apogée
2014 à 2025
Mariage
Viande grillée ou mijotée