A Star is born!

Le Savagnin a sans conteste écrit l’un des plus beaux chapitres de l’histoire viticole suisse, celui de l’Heida à Visperterminen, dans le Haut-Valais. Ici, à l’entrée de la vallée de Viège, une communauté villageoise indépendante, dont les habitants se surnomment fièrement les «Tärbiner», produit et élève son vin depuis des siècles dans des sols schisteux, soumis à un climat sec favorisé par le foehn. Les tendances et les modes viticoles n’ont heureusement eu aucune prise sur Visperterminen, niché dans un recoin isolé de la chaîne des Alpes. Il importe peu aux Tärbiner de savoir s’ils cultivent vraiment ici, à 1150 m d’altitude, le plus haut vignoble d’Europe, ou comme ils aiment à le dire avec un peu plus de modestie, «le plus haut vignoble au nord de la crête principale des Alpes». Une chose est sûre néanmoins: le vignoble principal du village, composé d’un peu plus de 25 ha de vignes orientées vers le sud-ouest, constitue un patrimoine alpin unique. Divisé en d’innombrables petites terrasses soutenues par des kilomètres de murs de pierre sèche, ce vignoble engloutit pas moins de 500 m de dénivelé sur une courte distance. Visperterminen compte 17 ha du cépage Heida en tout et les vins qui en sont issus n’ont jamais été aussi bons. La fondation de la St. Jodern Kellerei, qui a pu vinifier pour la première fois le raisin de ses coopérateurs en 1980, a jeté les bases de cette réussite. Aujourd’hui, quelque 460 vignerons livrent leur production à cette cave, qui en tire 400 000 bouteilles de vin. Deux sélections d’Heida figurent parmi les vins phares de la maison: le Grand Cru, vinifié pour la première fois en 2019, provient de parcelles sélectionnées. Il est produit à de faibles rendements de l’ordre de 800 g par m2 et est vinifié exclusivement en inox. Commercialisé après deux années de vieillissement, ce vin frais et vigoureux convainc par son caractère pur, typique du cépage. Le second vin emblématique s’appelle l’Heida Veritas, une sélection élevée en amphores et en inox, issue de ceps centenaires non greffés, qui poussent sur les parcelles de Wanne et de Sattelsonne, un peu plus bas dans la vallée. Si ces vignes n’ont pas été touchées par le phylloxéra, c’est au renouvellement constant des ceps selon la méthode de Versannes qu’on le doit. Cette technique consiste à creuser de profondes tranchées le long des rangs de vignes pour y enterrer complètement les vieux ceps et à faire ressortir des pousses qui donneront ensuite naissance à de nouveaux ceps non greffés. Grâce à une poignée de vignerons de Visperterminen, qui n’ont jamais abandonné cette méthode ancestrale et unique de provignage, la St. Jodern Kellerei peut désormais produire le Veritas, un vin très expressif aux multiples facettes, qui se veut parfois presque baroque, mais n’en reste pas moins juteux et enjoué, salé et minéral.

Le Valais – une catégorie à lui seul!

Avec le Grand Cru et le Veritas, la St. Jodern Kellerei a confirmé le rôle particulier que joue Visperterminen pour l’Heida lors de ce panel professionnel de VINUM. Force est néanmoins de constater que ce cépage n’est plus la chasse gardée de la commune depuis longtemps. Jusqu’au début des années 1990, la moitié de l’Heida valaisan provenait encore de Visperterminen, mais entretemps, la surface vinifiée qui lui est consacrée dans tout le canton a décuplé. Mais cela va plus loin. Le cépage produit d’excellents vins dans toute la Suisse romande. Il est ainsi devenu le septième cépage blanc de Suisse avec une surface cultivée totale de 226 ha, une tendance toujours à la hausse. À l’image de cette évolution, le panel professionnel de VINUM a réuni douze vins du canton du Valais, sept du canton de Vaud, ainsi que trois du canton de Genève et du Pays des Trois-Lacs. Il s’avère que le Valais donne toujours le ton avec ce cépage, qui porte le nom d’Heida dans le haut du canton et celui de Païen la plupart du temps dans le bas. Les crus du Valais se sont ainsi octroyé les six premières places de cette dégustation.

En tête, on retrouve l’Heida d’un domaine qui truste les meilleures places du panel professionnel de VINUM avec une régularité impressionnante. L’Heida Les Pyramides 2022 du domaine Nouveau Salquenen a pris le large face à la concurrence. Le raisin provient de différentes parcelles aux sols argileux situées entre Tourtemagne et Venthône, à 750 m d’altitude environ. Fermenté et élevé en grande partie dans des barriques neuves de chêne français, le vin subit une fermentation malolactique partielle. Il allie ainsi à la perfection ampleur et diversité aromatique à une fraîcheur juteuse. Mais le cépage est tout aussi capable de produire d’excellents vins dans le Bas-Valais, comme le montre l’Heida Champortay 2022 (2e place) et le Païen Les Serpentines 2021 (4e place) du Domaine Gérald Besse. Le raisin destiné à ces deux vins mûrit dans les vignobles en terrasse de Martigny à environ 620 m d’altitude dans des sols arides, riches en granit et pauvres en argile. La vinification ne manque pas d’astuce: elle permet d’atténuer l’acidité élevée en apportant un peu de sucre résiduel. Le Païen Les Serpentines 2021, par exemple, qui est élaboré sans malo dans des barriques de plusieurs passages, affiche pas moins de 9,7 g d’acidité pour une teneur en sucre résiduel de 7,2 g. Ce vin à la fois croquant et fruité, que les dégustateurs et dégustatrices ont classé dans la catégorie des «Savagnin frais», n’est pas sans rappeler le style des Riesling allemands.

Les œnophiles ont encore du mal à cerner le Savagnin Blanc en raison de la dénomination déconcertante du cépage et de ses différents profils sensoriels. Les noms Heida et Païen sont tous utilisés comme synonyme de Savagnin Blanc et désignent ainsi le même cépage. Bien qu’il soit aussi identique au Savagnin Blanc sur le plan génétique, le Gewürztraminer (ou Savagnin Rose Aromatique) constitue une mutation indépendante du cépage, ce qui se retrouve dans sa couleur – si les baies de Savagnin Blanc se parent d’un jaune d’or, celles du Gewürztraminer tendent plutôt vers le rose –, mais aussi dans son aromatique. En effet, avec ses notes de rose et de litchi, le Gewürztraminer se montre nettement plus expressif que le Savagnin Blanc. La confusion est aussi alimentée par le nom de Traminer. En Allemagne, il désigne le Savagnin Blanc, alors que dans le Vully il se compose de Gewürztraminer. Puisque nous n’aimons pas faire dans la simplicité, nous avons décidé d’attiser cette confusion en intégrant à la dégustation deux Traminer du Domaine du Petit Château. Le moyen de démontrer les différences entre deux clones génétiquement égaux. Ces divergences sont beaucoup moins prononcées chez le Traminer Nature Orange du même domaine. La macération atténue les différences sensorielles entre les types de Savagnin. La parenté entre le Savagnin Blanc et le Gewürztraminer est beaucoup plus nette chez les vins orange.