Classiques helvétiques
Chasselas et Pinot Noir
Texte: Alexandre Truffer, Photo: Gettyimages / Oleh_Slobodeniuk, Siffert/weinweltfotos.ch, m.à.d., AMTRA/ N. Messieux
Chasselas et Pinot Noir occupent plus de la moitié du vignoble helvétique. Comment ces variétés dites traditionnelles se comportent-elles face aux nombreux défis qui les attendent? Nous avons posé la question à plusieurs professionnels, qui nous dressent un portrait complet de ces incontournables de la viticulture suisse. Pépiniériste, vigneron, œnologue, commerçant, critique et scientifique se sont aussi prêtés au jeu des pronostics. Rendez-vous dans dix ans pour savoir si leurs prédictions se sont réalisées.
En 1420, la peste ravage la Bourgogne où, depuis un quart de siècle, le Pinot Noir a seul droit de cité. Marie, la fille du duc Philippe le Hardi, fuit l’épidémie et se réfugie à Saint-Prex, près de Morges. Afin de remercier les locaux pour leur hospitalité, elle offre quelques plants du cépage bourguignon aux vignerons du village. De là, sous l’appellation Salvagnin, le cépage se répand dans le canton et sur tout le territoire suisse. Du moins, c’est l’histoire que l’on raconte entre Lausanne et Nyon. Dans les années 1960, le Salvagnin, commence à disparaître, remplacé par des variétés de Pinot plus productives. Il perd même son nom, utilisé comme appellation générique pour les assemblages rouges.
Lorsque quelques vignerons de Morges, dont le dynamique Raoul Cruchon, décident de relancer cette spécialité à partir de quelques ceps survivants, ils exhument des archives le nom de Servagnin pour le singulariser du tout-venant désormais identifié comme Salvagnin. L’année 2020 aurait dû marquer les 600 ans de ce rouge qui fait de plus en plus d’adeptes. Pandémie oblige, le jubilé a été repoussé à 2021, puis à 2022. Si le Servagnin peut être considéré comme l’un des Pinot les plus prometteurs du pays, il partage cet honneur avec les cuvées haut de gamme de Suisse alémanique (surtout dans les Grisons et à Schaffhouse) et de Neuchâtel. Avec 3875 hectares recensés en 2020, le Pinot Noir demeure le plus important cépage du vignoble helvétique. Pourtant, lorsque l’on regarde son évolution sur la durée, notre cépage affiche une baisse conséquente puisqu’en 1995, les statistiques indiquaient qu’il y avait 4521 hectares de celui qu’on appelle aussi Blauburgunder dans le pays. Cette baisse s’explique par les évolutions du vignoble valaisan (qui est passé de 1799 hectares à 1367 en un quart de siècle), zurichois et schaffhousois (chacun a perdu une centaine d’hectares), tandis que Vaud est resté stable (perte de 20 hectares, tout comme les Grisons) et que Genève (45 hectares de plus) et Neuchâtel (85 hectares de plus) se sont renforcés.
Le Chasselas, deuxième cépage toutes couleurs confondues et premier blanc du pays, a encore plus fortement diminué en une génération. De 5537 hectares en 1995, la surface a fondu pour atteindre 3605 hectares en 2020. La plus forte baisse (près de 1000 hectares) concerne le Valais qui passe de 1772 hectares en 1995 à 796 hectares aujourd’hui. Vaud limite les dégâts et perd 450 hectares pour une surface actuelle de 2253 hectares. Quant à Genève et Neuchâtel, ils ont perdu 219 et 164 hectares pour totaliser aujourd’hui respectivement 281 et 154 hectares de Chasselas. Pourtant avec 7480 hectares à eux deux, ces variétés représentent plus de la moitié des vignobles suisses. À l’heure où sort le Non-Filtré et où se prépare le jubilé du Servagnin de Morges, il semblait important d’interroger des professionnels des diverses branches de la viticulture sur les défis auxquels font face nos cépages traditionnels et de leur demander quel avenir ils leur imaginent.
Un nouvel espoir
Entretien avec Eric Germanier, pépiniériste
Depuis 2000, Eric Germanier a repris l’entreprise familiale fondée par son père en 1968. Chaque année, il greffe et commercialise entre 400 000 et 450 000 jeunes plants, ce qui en fait l’une des plus importantes pépinières du Valais et de Suisse romande.
Le Chasselas est-il un cépage demandé en pépinière?
Depuis une dizaine d’années déjà, on voit que la demande pour des plants de Chasselas augmente. Pendant assez longtemps, les vignerons ne faisaient que remplacer les ceps qui mourraient ici ou là, tandis que l’on voit désormais que des belles parcelles sont en train d’être intégralement reconstituées. On se rend compte, qu’en Valais, les vignerons font un réel effort sur le Fendant, qui est désormais réclamé par le marché. En ce qui concerne les sélections que l’on nous demande, il n’y a pas de grande révolution depuis une trentaine d’années. Le Fendant 14/33-4 a fait ses preuves en termes de rendement et de qualité. Bien entendu, il existe des clones un peu moins productifs, mais ils n’ont pas un énorme succès, surtout lorsqu’il s’agit de parcelles mécanisées.
Qu’en est-il du Pinot Noir?
Le Pinot ne connaît pas du tout la même dynamique que le Chasselas. On peut même, dans son cas, parler de calme plat. Sur la question du choix des clones, on peut diviser la clientèle en deux. D’un côté, les vigneronsencaveurs qui commercialisent des bouteilles et privilégient des clones qualitatifs. De l’autre, des producteurs qui vendent leur récolte et doivent assurer un rendement minimum. Ces derniers se tournent en général vers des sélections traditionnelles, comme le Wädenswill. Celui-ci, qui a l’avantage de se révéler moins sensible que d’autres Pinot Noir à la mouche Suzukii, est aussi très apprécié des professionnels qui produisent du rosé.
Comment pensez-vous que ces deux variétés traditionnelles vont évoluer dans les dix prochaines années?
La demande de Chasselas va être entretenue par le renouvellement qui est indispensable au vu de l’âge du vignoble. Le marché est demandeur de Fendant valaisan, dont les vignes ont été très peu reconstituées. Les parcelles de Chasselas, et la situation n’est pas très différente pour le Pinot Noir, ont souvent plus de quarante ans en moyenne. Elles ont donc été plantées à la fin des années 1970, à une époque où on ne parlait pas de mécanisation. Aujourd’hui, les prix du raisin impliquent que les vignerons ont besoin de travailler des vignes qui puissent être cultivées de manière rationnelle, ce qui se révèle très difficile avec des vignes qui datent du siècle passé. De plus, l’âge va de pair avec une baisse de rendement, et donc de rentabilité. Ces deux facteurs vont donc soutenir la demande en plants de Chasselas et de Pinot Noir pour les décennies à venir.
Non-Filtré et diversité
Entretien avec Annie Rossi, régisseuse de la Grillette
Ingénieure-œnologue d’origine française, Annie Rossi est arrivée en 2015 à la Grillette. Elle est aujourd’hui la régisseuse et l’œnologue de ce domaine neuchâtelois d’une vingtaine d’hectares situé à mi-chemin entre le lac de Neuchâtel et le lac de Bienne.
La culture du Chasselas a-t-elle beaucoup évolué?
L’accent mis sur le parcellaire est, pour notre domaine, l’une des plus importantes évolutions qui touche d’ailleurs le Chasselas comme le Pinot Noir. Chaque parcelle est récoltée et vinifiée séparément, même si le vin n’est pas systématiquement vendu sous forme de sélection parcellaire. Cet effort amène plus de précision et, donc, plus de qualité. En outre, je trouve que la Grillette a fait un bond en avant en changeant de mode de culture. En passant en bio et en biodynamie non certifiée, nos Chasselas ont pris une nouvelle dimension. Cette évolution est particulièrement notable en ce qui concerne le Non-Filtré. Cette spécialité développe des arômes d’agrumes, de type Sauvignon, un peu déroutants, mais très intéressants. Précisons que la Grillette va petit à petit arrêter le blanc classique pour se concentrer sur le Non-Filtré, qui connaît un très fort engouement, et sur des Chasselas élevés sur lies ou en barrique.
Peut-on tirer les mêmes conclusions sur la culture du Pinot Noir?
Nous avons la chance de posséder une parcelle exceptionnelle, plantée de très vieilles vignes de Pinot, que nous utilisons afin de développer une sélection massale. Comme la Grillette a beaucoup plus de Pinot Noir que de Chasselas, nous n’avons pas les mêmes contraintes pour ces deux cépages. Nous pouvons nous permettre de diversifier le Pinot. Notre philosophie serait même plutôt de faire tout ce que l’on fait avec ce magnifique cépage: du blanc de noir (notre dernière création), des bulles rosées, des bulles blanches, de l’Œil-de- Perdrix ainsi que des rouges élevés en cuve ou en barrique.
Comment pensez-vous que ces deux cépages vont évoluer?
Le Non-Filtré est sans doute l’avenir du Chasselas, en tout cas dans la région de Neuchâtel. C’est un vin qui évolue très bien et qui plaît beaucoup, y compris à une clientèle plus jeune. Le futur du Pinot s’appuie, lui, sur plusieurs axes. Les effervescents, toujours plus demandés, et les blancs de noir, permettent une diversification qui devrait trouver son public. Celle-ci va de pair avec la montée en gamme que l’on peut remarquer dans ce canton où tous les domaines ou presque mettent sur le marché des cuvées parcellaires haute gamme. Ces vins, qui sont une signature du vignoble neuchâtelois, deviennent de plus en plus pointus. Et si l’on se réfère à l’exemple bourguignon, ce choix de la précision, du micro-parcellaire et de l’exigence permet d’entrer dans un cercle vertueux.
La quête de la fraîcheur
Entretien avec Marjorie Bonvin, maître-caviste
Responsable œnologie et production chez Badoux Vins, Marjorie Bonvin vinifie quelques-uns des plus beaux Chasselas vaudois. Si L’Aigle Les Murailles est la plus connue de ses réussites, elle a aussi remporté les Lauriers de Platine Terravin 2019 avec le Villeneuve des Hospices Cantonaux.
La vinification du Chasselas a-t-elle évolué et, si oui, comment?
De manière générale, les protocoles de vinification n’ont pas énormément changé. On remarque, depuis quelques années, une augmentation significative des taux de sucre et des sondages à la vendange, que l’on peut sans doute lier au réchauffement climatique. Les années très ensoleillées se traduisent par des acidités relativement basses dans les moûts, ce qui pose la question de la deuxième fermentation, car celle-ci, dite malolactique, fait encore baisser l’acidité. Or, nous nous efforçons de conserver la fraîcheur et le friand qui font tout l’attrait de ce blanc. Précisons tout de même qu’il y a des inquiétudes et des défis à relever sur certains lots, mais pas encore de révolution qui nous pousserait à modifier de manière radicale notre manière de vinifier le Chasselas.
Peut-on tirer les mêmes constats pour le Pinot Noir?
L’augmentation des taux sucre et la concentration sont plus marquées dans le Pinot Noir. Il y a dix ans de cela, on vendangeait toujours, dans notre région, le Chasselas avant le Pinot Noir. Aujourd’hui, on récolte souvent ce rouge en premier. Ces maturités plus élevées et plus précoces alliées à une plus grande concentration, qui va de pair avec des rendements plus faibles, vont avoir des conséquences à la cave, car ils donneront des vins plus structurés et plus opulents qui afficheront, en bouteille, des taux d’alcool plus élevés. On risque alors de se retrouver avec des vins présentant des arômes confiturés qui n’ont ni l’élégance, ni la finesse auxquelles peut prétendre ce cépage d’origine bourguignonne. Ajoutons encore que c’est une variété sensible à la pourriture et à la mouche Suzukii.
Comment pensez-vous que ces deux cépages vont évoluer?
Si l’on compare la situation de ces deux variétés, disons que je ne me fais pas trop de souci pour le Chasselas et un peu plus pour le Pinot Noir. Toujours dans le but de conserver des arômes de fruits frais et de l’élégance, nous avons raccourci les cuvages du Pinot et réfléchissons à la possibilité de le planter plus haut sur les coteaux. Ces évolutions permettront peut-être de «réinventer» un rouge qui n’a plus vraiment la cote, surtout auprès des jeunes générations. Ce qui n’est pas le cas du Chasselas, qui possède en plus une image indissociable de la Suisse et du canton de Vaud. On peut imaginer que, dans dix ans, la fermentation malolactique dans les blancs sera l’exception plutôt que la norme, mais ce n’est pas une révolution, plutôt une adaptation technique pour préserver le côté sapide du Chasselas.
Une montée en gamme continue
Entretien avec Christophe Romanens, directeur des Caves Blavignac
Administrateur de l’entreprise familiale où il est associé avec sa femme Anne-Laure, Christophe Romanens est un excellent connaisseur du marché helvétique. Passionné par son métier, il est aussi un membre éminent de la Confrérie du Guillon.
Le Chasselas est-il un cépage prisé des consommateurs?
Les clients qui viennent dans un commerce de vins comme le nôtre sont des épicuriens qui cherchent des vins de qualité. Dans ce contexte, le Chasselas se porte plutôt bien. Le plus réjouissant est que nous avons une clientèle relativement jeune qui consomme du Chasselas. Il faut s’entendre sur la définition de «jeune», mais pas mal de clients qui ont entre vingt-cinq et trente ans s’intéressent à notre cépage traditionnel. Par contre, comme ils boivent moins que les générations précédentes, ils achètent plutôt des bonnes choses. Cette tendance à boire mieux a sans doute été renforcée par la pandémie, car avec la fermeture des restaurants, nous avons eu pas mal de clients qui tenaient le raisonnement suivant: «pour accompagner le plat préparé maison, ou pris à emporter, servis aux amis, je préfère acheter une bouteille à vingt francs, plutôt que la bouteille qui vaut dix francs et que le restaurant me facture trente.» Il est indéniable que pendant la fermeture des restaurants, le panier d’achat moyen par client est monté.
Le Pinot Noir a-t-il la même attractivité?
Comme pour le Chasselas, on vend plus facilement une appellation bourguignonne, même trop chère, qu’un Pinot Noir générique. En ce qui concerne, les rouges suisses, on vend mieux des bouteilles chères, des Grisons par exemple, que les vins de soif de la région. À ce sujet, on remarque que les acheteurs de Pinot sont plus enclins à sortir des frontières cantonales que les buveurs de Chasselas. Notons aussi qu’il s’agit d’une clientèle plus âgée. Le Pinot Noir n’intéresse pas tellement les jeunes qui lui préfèrent des assemblages ou des variétés plus taniques, plus corsées et plus colorées. La finesse du Pinot Noir est quelqu chose qui s’apprécie sans doute mieux avec l’âge.
Quels seront, à votre avis, les demandes de la clientèle dans une décennie?
Si l’on se base sur les deux dernières années, je pense qu’il n’est pas très sage de faire des pronostics à dix ans. Toutefois, il me semble que nous allons dans le sens d’une montée en gamme. Si les producteurs sont capables de répondre à cette demande, Chasselas et Pinot Noir sont des cépages qui devraient bien tenir le choc. Ces deux variétés ont une connotation traditionnelle, mais les gens aiment bien les traditions, si elles sont bien faites. Je ne suis pas inquiet, surtout pour le Chasselas, qui est un cépage que les Suisses aiment et qui ne se cultive que dans notre pays. Je pense qu’il aura toujours une belle place, sans doute meilleure que le Pinot, sur nos étals dans dix ans.
Passer du bon au très bon
Entretien avec Yves Beck, critique
Très présent sur les réseaux sociaux, «Beckustator» est originaire du Neuchâtel. Il déguste et note des milliers de vins par an. Outre le vignoble suisse, dont il a une connaissance encyclopédique, ses régions de prédilection sont Bordeaux, l’Alsace et l’Allemagne.
Qu’évoque le Chasselas pour un amateur de vin?
Au niveau international, le Chasselas n’a pas vraiment d’image. Il est aussi peu, et mal, connu que les vins suisses dont il est l’emblème. Sur le marché intérieur, à l’inverse, ce cépage a bien redoré son blason. On le prend au sérieux et il apparaît capable de plaire à une clientèle jeune, notamment grâce à son caractère accessible. À mon avis, le Chasselas réussit un excellent compromis entre le côté populaire, le côté technique, le côté historique et le côté plaisant. On remarque que les vignerons qui faisaient déjà des bons vins il y a vingt ans n’ont pas vu leur niveau baisser et que beaucoup de producteurs «moyens» produisent désormais des Chasselas d’excellent niveau. Quant au style des vins, on peut constater que, s’il n’y a pas eu de révolution, on mise plus sur la fraîcheur et la vivacité.
Et que dit-on des Pinot Noir helvétiques dans le reste du monde?
Certains producteurs helvétiques sont bien connus en Allemagne et aux États-Unis. Reconnaissons que les noms généralement prononcés viennent tous des Grisons: Gantenbein, Adamk, Donatsch. Sur la question de l’export, la Suisse romande reste encore en retrait par rapport aux vins de la Bündner Herrschaft. J’ai toutefois constaté que, dans la région de Neuchâtel, on produit désormais des Pinot Noir de niveau international. La proximité géographique avec la Bourgogne permet à la région des Trois-Lacs d’élaborer des vins d’une extrême finesse. S’il y a vingt ans, la référence des Pinot suisse était sans contexte les Grisons, les autres régions ont comblé leur retard. Neuchâtel a déjà été cité, mais on fait aussi d’excellents Pinot à Zurich, Schaffhouse et dans le canton de Vaud.
Peut-on faire des pronostics sur le statut qu’auront ces deux cépages dans dix ans?
Je ne pense pas que le Chasselas va connaître une révolution dans la prochaine décennie. Le niveau général des vins me paraît déjà très bon. En ce qui concerne le Pinot, les vignerons suisses ont une carte plus importante à jouer. Au niveau international, l’Allemagne, l’Oregon ou l’Alsace ont montré que l’on peut produire des grands vins, reconnus comme tels, en dehors de la Bourgogne. Les vignerons suisses ont montré qu’ils étaient capables de faire des grands Pinot. Ils doivent désormais montrer qu’ils peuvent produire de très grands Pinot, ce qui demande une politique de «fine tuning» dont les conséquences ne sont souvent perceptibles que des années plus tard. Et surtout, il faut que les meilleurs producteurs inspirent leurs collègues pour qu’il n’y ait plus trois, mais trente domaines suisses connus à l’étranger.
Prise de conscience indispensable
Entretien avec Olivier Viret, ingénieur agronome
Chef du centre de compétence cultures spéciales du canton de Vaud, Olivier Viret est responsable du domaine de Marcelin, des Hospices cantonaux et du plan phytosanitaire cantonal. Il est aussi expert pour la Suisse à l’Organisation internationale de la vigne et du vin.
Quels sont les axes de recherche sur le Chasselas?
Un important travail est en cours sur la sélection clonale du Chasselas. À l’Agroscope de Pully, nous possédons la plus importante collection mondiale de Chasselas avec plus de 250 biotypes ou clones. Afin de préparer le futur, nous œuvrons pour revisiter l’histoire. Les clones de type «Giclet», qui se distinguent par leur acidité, ont été bannis dans le passé au profit des clones de type «Fendant», meilleurs producteurs de sucre et d’un type aromatique moins expressif. Nous ne voulons pas bannir les Fendant, mais en augmentant la diversité des clones à disposition des vignerons, cela offrirait une nouvelle marge de manœuvre au cépage. Au niveau pratique, nous n’en sommes qu’aux balbutiements, puisque seuls certains producteurs – Bovard, Monachon, Paccot – tentent d’exploiter ce potentiel. Nous avons un autre projet, qui consiste justement à s’éloigner du monoclonal et à constituer des familles d’une dizaine de biotypes différents dotées de caractéristiques similaires, une bonne assimilation de l’azote, par exemple.
Et sous quel angle les chercheurs étudientils le Pinot Noir?
La situation est relativement similaire pour le Pinot Noir. Nous avons aussi une collection importante de Pinot Noir à Pully. Là aussi, le choix de bannir certains clones dotés d’une acidité importante à une époque où l’on arrivait moins à faire mûrir les raisins. Aujourd’hui, on constate un excès de sucre et des arômes confiturés dans les vins. Une partie de la solution réside sans doute dans la redécouverte de clones moins précoces et moins producteurs de sucre que ceux qui ont été privilégiés ces cinquante dernières années.
Comment voyez-vous le futur de ces cépages traditionnels?
On constate que le Chasselas, comme le Pinot Noir, sont en baisse régulière sur notre territoire. Je pense cependant que, quelles que soient les nouveautés qui seront plantées, nos variétés traditionnelles resteront la base des appellations d’origine. Toutefois, une prise de conscience de l’importance du matériel chez les vignerons et chez les pépiniéristes est indispensable. Aujourd’hui, le professionnel commande des greffons de Pinot Noir ou de Chasselas et reçoit ce que son fournisseur a en stock. Répondre aux enjeux climatiques actuels ne sera pas possible sans augmentation de la diversité clonale dans les vignes. Étant donné que ces biotypes capables de surmonter les défis de demain existent, il faut que les producteurs s’y intéressent plutôt que de multiplier les cépages qu’ils travaillent.