Directeur du département «vins et spiritueux» de Christie’s

Entretien avec Edwin Vos

Photos: Michiel Stokmans; Koos Breukel

Fondée en 1766, Christie’s – qui appartient au milliardaire français François Pinault – affiche un chiffre d’affaires de plus de 6 milliards de francs par ans. Edwin Vos nous ouvre les portes du numéro un mondial des ventes aux enchères.

Quel est le processus qui permet à une bouteille de se retrouver à une vente aux enchères de Christie’s?

Lorsque quelqu’un est intéressé pour vendre des vins chez Christie’s, nous lui demandons de fournir une liste des bouteilles qu’il aimerait vendre ainsi que des photos, surtout s’il s’agit de millésimes anciens. En effet, plus les vins sont âgés, plus les conditions de conservation sont importantes. La valeur de la bouteille dépend ainsi fortement du niveau, de la qualité de l’étiquette et de l’état du bouchon. Si nous avons un intérêt commun à vendre ces vins, nous allons venir chercher ces vins nous-mêmes. La visite de la cave nous permet d’obtenir des informations demandées par les acheteurs. Notre visite nous permet aussi de vérifier que les informations fournies sont correctes. Pour être honnête, 99% des listes que nous recevons comprennent des erreurs relatives au nom du vin (Echezeaux pour Grands Echezeaux) ou du millésime. Cette rencontre va permettre de réaliser une première sélection et de refuser les vins qui ne correspondraient pas à nos standards.

Et quels sont ces standards?

Cela dépend de l’âge de la bouteille. Un niveau problématique sur une bouteille des années 2000 est tout à fait acceptable pour un flacon qui a cinquante ou soixante ans. L’état de l’étiquette ou de la capsule de surbouchage peuvent aussi faire influer sur la valeur d’un vin et ce, surtout sur le marché asiatique, qui affiche une JUILLET / AOÛT 2021 VINUM 53 VENTES AUX ENCHÈRES plus faible tolérance pour les étiquettes abîmées que les amateurs du Vieux Continent.

Que se passe-t-il une fois que vous avez fait votre choix?

Je vais tenter de trouver le plus d’informations sur les vins que nous allons mettre en vente. Tout ce qui est en rapport avec leur parcours– où ils ont été achetés, à qui, la présence ou non de factures – permet d’apporter des informations utiles aux futurs acheteurs. Les bouteilles sont ensuite envoyées dans notre dépôt où elles sont photographiées, réparties en lots, inspectées des pieds à la tête afin d’être décrites le plus précisément possible dans notre catalogue. Celui-ci est envoyé à tous nos clients potentiels deux semaines avant le début de la vente.

Quels vins sont vendus par Christie’s?

Nous vendons des vins qui intéressent une clientèle internationale. Et celle-ci a des attentes bien précises. Même si nous offrions des Sancerre, des Côtes de Bordeaux ou des vins suisses – qui peuvent être d’excellents vins – dans nos enchères, il ne se vendraient pas. Nos clients demandent les Premiers Crus de Bordeaux, auquel on peut ajouter Petrus et Le Pin, ainsi que les domaines les mieux cotés de Bourgogne – La Romanée Conti bien sûr, mais aussi Rousseau, Roumier, Coche-Dury, Leroy – ainsi que certains Champagne millésimés (Salon, Pol Roger, Dom Pérignon, Cristal). Ajoutez quelques producteurs de la Vallée du Rhône (Chave, Guigal and Château Rayas), une poignée de super-toscans et de célébrités du Piémont, Véga Sicilia en Espagne, quelques stars de la Napa Valley et les vieux Madères. Attention, on parle ici de millésimes du 18e et de la première partie du 19e siècle! J’oublie sans doute quelques noms, mais il me semble que près de 95% des bouteilles vendues par Christie’s rentrent dans l’inventaire énuméré ci-dessus.

Les domaines évoqués formaient déjà l’élite du mondovino il y a trente ans. Celle-ci est-elle immuable?

Les vins très recherchés de nos ventes en enchères constituent un groupe d’une grande stabilité. Lorsque je feuillette un catalogue d’une vente ayant eu lieu il y a une vingtaine d’années, je suis impressionné par les différences de prix, mais je retrouve quasiment les mêmes vins.

S’il y a peu de nouveaux élus, des classiques d’antan ont-ils passé de mode?

Les vins doux – Sauternes, Auslese – sont clairement moins populaires qu’ils ont pu l’être par le passé. Si l’on s’intéresse aux vins blancs, les Bourgogne blancs ont clairement pris l’ascendant sur les Sauternes au cours des vingt dernières années. Quant aux vieux Porto, ils sont demandés, mais restent à des prix raisonnables et offrent d’intéressantes opportunités.

Existe-t-il des différences régionales entre vos antennes de Londres, Genève, New York et Hong Kong?

Honnêtement, il n’y a pas de grandes différences. Si ce n’est qu’à Hong Kong, les très vieux millésimes – disons tout ce qui date d’avant 1945 – sont moins recherchés. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’acheteurs asiatiques pour ces vins, mais la compétition est moins intense qu’à New York, Londres ou Genève. À l’inverse, les plus exclusifs des Bourgogne atteignent des sommets, à condition qu’ils soient en parfaite condition, à Hong Kong.

Les grands formats forment-ils un marché particulier?

Absolument. Les vins vieillissent plus lentement dans les grands flaconnages comme les magnums, les double-magnums ou les Jéroboam, car le rapport entre le liquide et le bouchon est beaucoup plus intéressant que pour une bouteille. Ce qui explique qu’un magnum, qui contient l’équivalent de deux bouteilles, est plus cher que deux bouteilles. L’exception, qui confirme la règle, concerne encore une fois les vins doux. Même pour Yquem, qui est encore très recherché, les grands formats ne sont pas très demandés. Entre autres, car personne ne sait quand boire ce type de vin et plus la bouteille est imposante, plus l’occasion est difficile à trouver.

Comment vous protégez-vous des fraudes?

Nous avons plusieurs manières de vérifier que les vins très exclusifs que nous proposons ne sont pas contrefaits. En premier lieu, nous disposons d’une base de données photographique très importante puisque tous les vins que nous avons vendus depuis la création du département «vins et spiritueux» ont été photographiés. Ensuite, nous pouvons compter sur une équipe d’experts à l’expertise mondialement reconnue. Enfin, il m’arrive régulièrement de contacter les responsables des domaines qui ont produit les vins en question, et même de leur faire parvenir le vin en question, afin d’avoir une garantie d’authenticité parfaitement fiable.

Est-il encore possible de tomber sur des trésors œnologiques?

La dernière vente que nous avons organisée à Genève intégrait une collection privée suisse. Les vins se trouvaient dans une annexe de la cave dont la clef avait été perdue depuis des années. Tout le monde pensait qu’il n’y avait que de vieux vins sans intérêt. En réalité, l’arrièregrand-père des propriétaires avait investi de manière avisée. Nous y avons découvert des quantités importantes de Cheval Blanc 1921, Yquem 1890, Haut-Brion 1893 qui voisinaient avec des crus sans intérêt et complètement passé. Bien entendu, ce genre de découvertes ne sont pas fréquentes, mais elles arrivent.

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