Docteur ès barrique
Entretien avec Nicolas Vivas œnologue
Texte: Alexandre Truffer, Photo: Olivier Maire
Pourquoi les amphores ont-elles été, il y a près de deux mille ans, remplacées par des tonneaux?
Nicolas Vivas: Ce changement est né de l’opposition de deux civilisations. Il y avait d’un côté le monde gréco-romain, centré autour de la Méditerrannée. La principale matière première de ces régions assez sèches était la terre cuite. De l’autre, on trouvait le monde celte et ses immenses forêts. Lorsque le premier conquiert le second, l’abondance de bois permet au tonneau de remplacer l’amphore qui avait tout de même de nombreux inconvénients.
Les barrique bordelaise et bourguignonnes sont utilisées dans le monde entier. Pourquoi ont-elle pris le pas sur les tonneaux traditionnels d’autres régions?
Il existait autrefois une très grande quantité de barriques, qui variaient en taille et en volume en fonction des habitudes. En fait, tonnelier était un métier très régional dont le rôle consistait à fabrique des contenants en bois constitués de pièces cintrées entre elles et liées par des cercles. Ces contenants avaient des usages très différents et le monde viticole n’était qu’un débouché mineur de cette profession. Avec l’arrivée du développement industriel, des nouveaux récipients ont remplacé la barrique qui a perdu petit à petit toutes ses applications pratiques à l’exception de l’élevage des vins et des eaux-de-vie. Les seuls tonneliers à poursuivre leur activité ont été ceux qui officiaient dans de grandes régions viticoles, comme le Bordelais ou la Bourgogne au sens large. Les standards de ces régions sont ainsi devenus la norme en œnologie.
Quand la barrique est-elle devenue un élément de construction du vin et non plus un simple contenant?
Entre le milieu du 18e et le début du 19e siècle, on s’est rendu compte que le vin qui arrivait par bateau, lorsqu’il arrivait, était bien meilleur une fois parvenu à destination. L’alternance de chaud et de froid ainsi que le mouvement des vagues faisait que le vin en barrique se décarboniquait, se dépouillait de son trouble naturel et devenait un peu plus agréable à consommer. En clair, que la barrique permettait d’affiner le vin. A ce stade, il est important de comprendre que jusqu’au début du 20e siècle, on considérait que le bois permettait de «donner un caractère de vieux au vin», ce qui est radicalement différent de la notion actuelle d’élevage. Il faut dire qu’à l’époque les raisins étaient ramassés plus tôt et qu’il donnaient des vins beaucoup plus acides et moins alcooleux. La barrique permettait, par l’effet de l’oxydation, de polir les tanins pour augmenter la buvabilité.
L’élevage est donc une notion très moderne?
Il faut atteindre le milieu du 20e siècle pour que se précise cette notion d’élevage qui n’a plus pour but de conférer un caractère de vieux au vin, mais qui permet, grâce à des phénomènes lent et ténus, de structurer le vin, de le stabiliser et de révéler ses qualités. Cette évolution est bien sûr progressive, mais on peut tout de même identifier un tournant majeur. En 1982, Paul Pontallier, directeur de Château Margaux, publie une thèse de doctorat sur l’étude scientifique de l’élevage des vins rouges en barriques. Avant cela, il y avait eu différents travaux mais qui étaient moins spécifiquement liés à la barrique.
Peut-on parler d’aromatisation due à la barrique?
En tant que tel, le mot ne me choque pas. Toutefois, le concept est un peu ridicule, car le coût de l’aromatisation au moyen de la barrique se révèle prohibitif. On peut aromatiser le vin avec des levures ou des produits de boisage tels que des copeaux, qui sont beaucoup moins coûteux que la barrique. L’usage de cette dernière ne se conçoit que si le fût de chêne est vu comme un outil de transformation profonde du vin et de stabilisation de ses qualités. Aujourd’hui on ne considère un élevage sous bois réussi que lorsqu’il est impossible de faire la différence entre ce qui vient du vin et ce qui vient du bois.
Mais que se passe-t-il dans une barrique?
Plusieurs processus très complexes ont lieu en parallèle. Il a d’abord les apports du bois au vin qui se composent de tanins très spécifiques, les ellagitannins, qui protègent certains éléments fragiles du vin comme la couleur et les arômes de fruits. L’élevage en barrique amène aussi des arômes spécifiques, apportés par le bois et, surtout, par la chauffe. Cependant, l’impact le plus important sur le vin provient des échanges gazeux. La barrique est un énorme poumon. Celui-ci permet au vin de perdre son gaz carbonique et certains composés soufrés produits pendant la fermentation alcoolique et l’élevage sur lies. Ensuite, la pénétration de l’oxygène à l’intérieur de la barrique met en route des processus très lents d’oxydation ménagée. Ceux-ci permettent au vin de se restructurer en augmentant le degré de polymérisation des tanins et des anthocyanes. Ce phénomène améliore la stabilité gustative ainsi que le potentiel de vieillissement en bouteille. En clair, on apporte au vin sa capacité à se maintenir dans un état de jeunesse le plus long possible. Ensuite, il y a un troisième grand chapitre qui concerne les échanges entre le dépôts de lies, les levures mortes qui se trouvent au fond de la barrique, et le vin. Ces interactions apportent du gras et de la rondeur. Elles vont aussi fixer les arômes, ce qui va diminuer l’intensité aromatique afin de gagner en persistance. Enfin, en augmentant la densité colloïdale du vin, l’action des lies améliore aussi la stabilité dans le temps de tous les paramètres qualitatifs du vin.