Entretien avec Markus Rienth | Professeur de viticulture à Changins
Biodynamie: science ...
Texte: Alexandre Truffer, Photos: Pascal Tanner; m.à.d
La biodynamie est-elle étudiée à Changins?
La biodynamie est à la fois un sujet compliqué et très à la mode. La viticulture nécessite beaucoup plus de produits phytosanitaires que d’autre cultures. Il y a un besoin urgent de trouver des alternatives aux pesticides et aux herbicides. Je constate une très forte demande des consommateurs, mais aussi de nos étudiants et des producteurs encore en conventionnel. A Changins, nous menons des essais pour étudier s’il existe des différences en termes de qualité entre les approches biologique et biodynamique.
Faites-vous partie des sceptiques?
Si un viticulteur choisit de faire une viticulture biodynamique, c’est certain que cela va avoir un impact positif sur l’environnement, la biodiversité et la santé des vignerons. Par contre, les essais menés dans le monde entier n’ont pas encore démontré d’effets sur la qualité du vin. Pour l’instant, le gain se situe au niveau de l’environnement et de la durabilité.
De nombreux domaines très connus ont pourtant embrassé la biodynamie?
En effet, certains la pratiquent depuis longtemps, mais il est impossible de savoir s’ils font du bon vin parce qu’ils font de la biodynamie ou s’ils peuvent se permettre d’assumer le coût de la biodynamie parce qu’ils font du bon vin qu’ils vendent très bien. De manière plus générale, je pense qu’une gestion écologique de la vigne est une bonne chose. Dans cette optique, il faut préciser que la biodynamie ne sera jamais plus mauvaise pour l’environnement que le conventionnel. Dans le meilleur des cas, les pratiques proposées par Rudolf Steiner apportent quelque chose de plus et dans le pire, la biodynamie n’a aucune influence, si ce n’est son impact sur les coûts et les heures de travail.
Si je vous comprends bien, les pratiques biodynamiques n’ont aucun effet sur la vigne?
La biodynamie est une approche holistique qui existe depuis longtemps. L’institut de Geisenheim et l’Université d’Adélaïde ont fait de nombreuses études scientifiques afin de comparer les trois modes de production: conventionnel, biologique et biodynamique. On trouve des différences, en termes de rendement et de biodiversité du sol, entre agriculture conventionnelle et agriculture biologique ou biodynamique. A l’inverse, on n’a encore jamais trouvé de différence significative entre le bio et la biodynamie.
Que signifie «biodynamie» sur le plan scientifique?
Difficile de donner une définition, car le vigneron en biodynamie a une grande marge de manœuvre. A Changins, nous avons divisé une grande parcelle en plusieurs parties pour étudier l’influence de la viticulture en biodynamie sur la physiologie de la vigne et la qualité du vin. Matériel végétal et modes de cultures sont identiques, mais des préparats 500 et 501 sont répandus sur la partie biodynamique.
Vous avez dit que, selon les études actuelles, la biodynamie n’a pas d’influence reconnue sur la vigne, mais pourtant plusieurs essais sont en cours. N’est-ce pas contradictoire?
Le fait que nous n’ayons rien trouvé veut dire que nous n’avons pas cherché au bon endroit et certainement pas qu’il n’y a rien à trouver. De plus, je ne crois pas que le fait qu’on n’ait rien trouvé doive empêcher les producteurs de pratiquer la biodynamie. Ce qui me dérange le plus, ce sont les résultats présentés comme scientifiques alors qu’ils ne le sont pas. On voit souvent des photos comparatives de sols où l’on vous dit que le «beau» sol noir avec plein de matière organique est cultivé en biodynamie alors que son voisin gris et stérile est en conventionnel. Sauf que l’on ne dispose ni de données chiffrées, ni de la possibilité de vérifier la provenance de ces échantillons. Idem pour les photos de vigne qui seraient plus vertes et mieux orientées après une pulvérisation de 501. De très nombreux paramètres peuvent entrer en ligne de compte. Et même si la 501 verdit véritablement les feuilles, je ne vois pas vraiment ce que cela apporte.
Qu’en est-il pour les sols?
Les études montrent que les cultures bio ou biodynamique favorisent la vitalité des sols qui contiennent plus de biodiversité et de matière organique. C’est très bien pour l’environnement, mais, de nouveau, rien ne prouve que ce soit favorable à la qualité du vin. Vitis vinifera n’a pas les mêmes besoin que le blé ou le maïs. L’expérience montre que les sols les plus propices à la viticulture – le Médoc, Tain l’Hermitage ou les zones de schistes – sont des sols pauvres en matière organique, peu profonds et qui font souffrir la vigne aux moments opportuns.
Beaucoup de prescripteurs reconnus affirment pourtant que la preuve de l’efficacité de la biodynamie se trouve dans le verre.
J’ai assisté à des verticales de domaines reconvertis. Certains professionnels s’extasiaient sur le changement entre le dernier millésime – simplement bio – et le premier, certifié en biodynamie. Lorsque l’on connaît l’importance du millésime, comment peut-on imaginer que celui-ci ait moins d’influence que le changement de mode de culture. Le problème est qu’il est très difficile de faire des comparaisons entre des vins vraiment similaires, car la certification implique une conversion du domaine en totalité.