Panel professionnel: Plant Robert et Servagnin

Si vous recherchez des informations sur «Plant Robert» sur Internet, les premiers résultats concerneront Robert Plant, chanteur du groupe de rock Led Zeppelin de 1968 à 1980. Comment le musicien en est arrivé à porter ce nom, nous ne le savons pas. Ce que nous savons en revanche, c’est que le nom de ce biotype du Gamay proviendrait du verbe français «dérober». Qui l’a dérobé? Quand? Et où? Les réponses à ces questions sont aujourd’hui encore un mystère. Ce qui est certain, c’est qu’à Lavaux, et plus particulièrement aux alentours d’Épesses et de Cully, le Gamay s’est adapté aux conditions locales au fil des siècles et a fini par évoluer génétiquement, jusqu’au développement d’une variété indépendante: le Plant Robert.

Ce cépage a bien failli disparaître, les vignerons lui préférant des variétés plus faciles à entretenir et avec un meilleur rendement. Tandis que Pierre Paley, à qui les dernières parcelles de Plant Robert d’Épesses appartenaient, a dû les arracher dans les années 1960 pour faire de la place à la construction du viaduc autoroutier. À Cully, Robert Monnier a, quant à lui, coupé quelques sarments de vignes sélectionnées, au tout dernier moment, pour les faire se reproduire. Les premiers vins de Plant Robert pur ont été habilement promus à la légendaire Auberge du Raisin dans les années 1970. Aujourd’hui, le Plant Robert est de nouveau cultivé à Lavaux par 14 producteurs, pour une surface totale de 5,4 hectares et un rendement d’environ 30 000 bouteilles par an. La production et la transformation sont soumises à des règles strictes. Les vignerons sélectionnent encore des sarments provenant de leurs propres parcelles mères, selon le principe de la «sélection massale». Un cahier des charges détaillé, dont l’Organisme intercantonal de certification (OIC) vérifie qu’il est bien respecté, garantit que toutes les bouteilles décorées de la bande rouge et argent contiennent du vin issu de vignes du biotype Plant Robert. Toutefois, la plantation de nouvelles parcelles devrait bientôt devenir plus simple pour les producteurs. En 2011, le Centre de recherche Agroscope de Pully s’est lancé dans la culture de clones de Plant Robert stables et de grande qualité. Une fois la certification obtenue, ces clones pourront être reproduits sous le numéro RAC 55. Blaise Duboux, grand producteur dont le Plant Robez (comme on l’appelle à Épesses) a obtenu le meilleur résultat lors du Profipanel VINUM, est très engagé pour ce biotype du Gamay. Pas seulement parce qu’il fait partie du patrimoine culturel viticole de Lavaux, mais aussi parce qu’il est la promesse de vins uniques. «Un Plant Robert typique offre des arômes de cerise noire, de poivre et de fumé. Jeune, il présente une certaine rusticité agréable. Ce sont des vins vifs, pas trop tanniques mais très souples, qui ont un potentiel de développement incroyable.»

Il ne restait que quelques vignes...

Le Servagnin a connu à peu près la même histoire que le Plant Robert, mais dans la région de Morges. Il s’agit d’un biotype du Pinot Noir dont seuls les vignerons de Morges ont su faire une spécialité en créant des légendes pertinentes pour lui donner plus de charme. Ainsi, ce ne serait nulle autre que Marie de Bourgogne qui aurait personnellement apporté des jeunes plants lors d’une visite à Saint-Prex, près de Morges, au début du XVe siècle. D’après la légende, elle en aurait fait cadeau pour remercier la région de Morges pour son accueil bienveillant lorsqu’elle et ses enfants ont fui la peste qui sévissait en Bourgogne. Ironiquement, Marie de Bourgogne était la fille de Philippe le Hardi (1342–1404), duc de Bourgogne qui avait fait interdire la culture du Gamay dans son duché. Cette famille était manifestement bien plus favorable au Pinot Noir, dont elle a permis la diffusion jusqu’au lac Léman. Toutefois, dans les siècles suivants, le Servagnin a également fini par tomber en disgrâce aux yeux des vignerons de Morges, à la faveur de cépages plus faciles à entretenir et avec un meilleur rendement. Pierre-Alain Tardy est un vigneron aujourd’hui à la retraite qui, dans les années 1960, a entrepris de retrouver ce biotype disparu du Pinot. Il est tombé sur un conducteur d’excavatrice qui, lors du défrichage d’un vignoble à Saint-Prex, a déterré les quelques vignes de Servagnin qui restaient et les a rapportées chez lui. Seule une a survécu. C’est à partir de ce pied, dernier représentant de son espèce, que M. Tardy a pu prélever un plant pour assurer la survie du cépage. Les vignerons de Morges se sont également rassemblés pour faire retrouver au célèbre biotype de Pinot, prétendument le plus ancien de Suisse, sa grandeur d’antan.